AU-DELÀ DE L’HYPOTHÈSE DE L’ASPECT:

LE DÉVELOPPEMENT  ASPECTUO-TEMPOREL

DANS L’INTERLANGUE D’APPRENANTS AVANCÉS

Emmanuelle Labeau

Aston University

 

1. INTRODUCTION

 

L’hypothèse de l’aspect (AH) (Andersen & Shirai, 1994) - également appelée « Primacy of aspect hypothesis » (Robison, 1990), « Redundant Marking Hypothesis » (Shirai & Kurano, 1998) ou, à l’origine, la « defective tense hypothesis » (Andersen, 1986, 1991 à la suite de Weist et al., 1994) – a fait l’objet de beaucoup d’attention depuis sa formulation dans les années quatre-vingts. L’AH a inspiré une série d’études telles que celles d’Hasbún (1995) et  de Salaberry (2000) pour l’espagnol ; celles de Bergström (1995), Kihlstedt (1998), de Salaberry (1998), d’Howard (2002) et de Labeau (2002) pour le français. L’AH se basait sur l’acquisition de l’espagnol en milieu naturel par deux adolescents anglophones débutants et suggérait un développement en huit étapes.

 

[Tableau 1: Séquence de développement des marqueurs de morphologie verbale

(Adaptation d’Andersen, 1991 : p.314)]

 

Au niveau 1, ni le temps passé ni l’aspect n’était indiqué et une forme de base, le présent (PRES), était utilisée. Le niveau 2 voyait l’apparition du prétérit (en italiques dans le tableau) uniquement avec des verbes ponctuels alors que les verbes statifs émergeaient à l’imparfait (IMP) au niveau 3 (en gras dans le tableau). Au niveau 4, un marquage du passé existait dans toutes les catégories, le prétérit s’étendant aux accomplissements et l’imparfait aux activités. A partir du niveau 5, chaque forme morphologique commençait progressivement à gagner toutes les catégories de verbes jusqu’à ce qu’au niveau 8, les verbes statifs apparaissent finalement au prétérit, ce qui devait représenter le développement ultime du système aspectuel. Cependant, quelques « petits pépins », les « non-native glitches » (Andersen, 1991), continuaient à apparaître dans la production des apprenants.

La séquence proposée est d’ailleurs problématique des points de vue tant empirique que théorique. D’abord, seuls quatre des huit niveaux sont attestés dans les données d’Andersen :

 

For data from two learners at two time periods, only four stages can be posited from direct evidence. These are stages 2 and 4 for Anthony and Annette, respectively, at Time 1 and stages 6 and 8 for Anthony and Annette, respectively at Time 2. The other stages are posited as intermediate stages through which the learners should have passed, even though we have no samples from these stages. (Andersen. 1991: pp.313–4).

 

On peut aussi mettre en doute la pertinence de ces étapes pour les apprenants avancés (pour une revue critique, voir Kihlstedt, 1998 : pp.43ss) : il semble en effet qu’au-delà du niveau 5, la progression perd de sa valeur explicative. Le principe de pertinence, basé sur Bybee (1995 : p.447), ne fonctionne plus une fois que tout type de verbe se combine à tout morphème. On peut dire la même chose du principe d’adéquation par lequel les apprenants utilisent le morphème dont le sens se rapproche le plus du sens du verbe. 

     Pour l’acquisition du français, des difficultés supplémentaires pourraient provenir du fait que la forme d’IMP assume un plus large éventail de fonctions (notamment l’expression du continu ou du modal) dans cette langue qu’en espagnol et en anglais.[1]

     Par ailleurs, on a avancé que cette ligne de développement pourrait se limiter à l’apprentissage naturel et ne s’appliquerait pas à d’autres contextes d’acquisition. Ainsi, Salaberry (1998 : p.532) met en doute la validité de la séquence en contexte instructionnel car la salle de classe peut ne pas fournir l’input nécessaire à l’identification des marqueurs prototypiques de l’aspect lexical. L’AH serait-elle donc incapable de rendre compte de l’acquisition du temps et de l’aspect dans des contextes divers, par exemple des apprenants avancés du français en milieu instructionnel ?

 

     La présente étude examine le développement aspectuo-temporel de 61 apprenants aux trois[2] niveaux d’une licence de français à Aston University (Grande-Bretagne). Elle repose sur un éventail de données: (1) des narrations (orales et écrites) de deux extraits du film Les temps modernes[3] ; (2) un test grammatical de closure (choix aspectuels) basé sur (a) deux textes littéraires[4] ; (b) un texte narratif formé de segments problématiques rencontrés lors de l’étude-pilote[5] ; (c) l’adaptation d’une description par une étudiante bilingue d’une bande dessinée située dans la préhistoire[6] et finalement, (3) une tâche d’évaluation de la grammaticalité de formes verbales en contexte.

Sur cette base comparée à la production d’un groupe de contrôle de 6 Francophones, notre étude évalue les caractéristiques aspectuo-temporelles de l’Interlangue (IL) de l’apprenant avancé présentées dans Bartning (1997 : p.24). On se limitera ici aux conclusions relatives au PRES, au passé composé (PC) et à l’IMP, qui sont les seuls tiroirs verbaux en cause dans l’AH[7] ; celles-ci sont reprises, avec la mention des études qui les attestent, dans le tableau ci-dessous.

 

 

[Tableau 2 : Caractéristiques aspectuo-temporelles de l’IL d’apprenants avancés]

 

 

2. DISCUSSION

 

     Dans cette section, nous allons passer les affirmations des études précédentes au crible de notre propre corpus.

 

2.1. EMPLOI DU PRES COMME FORME NON MARQUÉE POUR RÉFÉRER AU PASSÉ

 

Notre étude confirme l’utilisation du PRES comme forme de remplacement pour des passés perfectifs et imperfectifs. Le tableau 3 offre un aperçu quantitatif de ce type de substitution:

 

[Tableau 3: Emplois non natifs du PRES pour référer au passé]

 

Au niveau qualitatif, les données indiquent une évolution du rôle du PRES entre les trois niveaux. Même s’il existe des emplois appropriés du PRES dès le niveau 1, par exemple dans les commentaires extra-diégétiques :

 

(1)     Elle regardait les choses dans le magasin et je pense qu’elle n’avait pas beaucoup d’argent. (S105) [sais (S105), ai l'impression (S108)][8]

 

ce tiroir remplit principalement le rôle de forme de base :

 

(2)     Il y a eu trois hommes qui ont suivu le premier homme avec les pistoles mais donc ils l’ont connu et ils ne le tire ! Ils ont l’envie de manger !! (S110)

 

Après le séjour à l’étranger, on relève un changement notable dans les données orales. La proportion d’emplois du PRES comme forme de base diminue fortement. Le PRES est utilisé comme procédé narratif systématique au niveau 4: on a affaire à des présents narratifs ou historiques.

 

(3)     Les deux partent à la recherche du policier, pour lui expliquer ce qui c’est vraiment passé. Le policier laisse Charlie partir et va arrêter la fille. Charlie Chaplin qui veut se retrouver avec la fille, décide d’aller manger dans un restaurant sans payer. Il est donc arrêté de nouveau par un policier et mis dans le camion avec les autres malfaiteurs de la ville. La fille est aussi mise dans le même camion que Charlie, où il lui offre sa place. La fille se souvient de lui. Elle essaie ensuite de s’enfuire et elle et Charlie et le policier se retrouve dans la rue. La fille part en courrant suivit de Charlie Chaplin. (S402)

 

     On doit donc conclure à la dualité du PRES dans nos données : initialement forme de base, il se transforme au niveau le plus avancé en ressource stylistique. Une approche purement morphologique comme l’AH ne permet bien sûr pas de rendre compte de ce glissement sémantique.

 

2.2. SUREMPLOI DU PC AVEC DES VERBES D’ACTION DANS LES CONTEXTES OÙ L’ON EMPLOIE NORMALEMENT L’IMP

 

Intéressons-nous maintenant au deuxième marqueur morphologique mentionné dans l’AH : le prétérit qui, en français, se traduit par le PC.[9] Dans la production spontanée, nos données recèlent peu d’emplois du PC en lieu et place d’un IMP. Le tableau 4 résume les données quantitatives.

 

[Tableau 4: PC remplaçant des passés imperfectifs]

 

On remarque sans surprise que les confusions sont plus fréquentes à l’oral qu’à l’écrit où il est possible d’éditer sa production. Les tests de closure offrent eux aussi le temps de la réflexion ; les emplois non natifs y sont pourtant nettement plus répandus, peut-être à cause de la contrainte des items verbaux et de leur cotexte qui empêche les stratégies d’évitement et le recours exclusif aux formes de l’IMP déjà bien maîtrisées (voir 2.3.).

Une analyse qualitative révèle en plus que la plupart des verbes impliqués ne sont pas des verbes d’action (nous avons retenu comme verbes d’action nos verbes dynamiques[10]):

 

[Tableau 5: Liste des verbes utilisés au PC en lieu et place d’un passé imperfectif]

 

Une caractéristique intéressante à noter cependant est que plusieurs des PC utilisés au lieu d’un IMP possèdent une valeur de passé progressif, emploi considéré tardivement acquis (voir Howard, 2002, Kihlstedt, 2002) :

 

(4)          Ils ont – ils ont été en train de: — de voler les choses du magasin. (S106)[11]

(5)          Une fille a regardé la fenêtre d’une patisserie et elle a vole une baguette et puis / elle a courit avec le *bette – avec la baguette à la rue. (S205)

(6)          […] alors qu’il a pris le pain euh dans le magasin une fille euh est venu et euh a vole une baguette. (S412)

(7)          A la fin, l’homme est allé au commissariat avec la police – les trois voleurs ont échappé quand l’homme de sécurité a dormi. (S102)

(8)          Tandis que le livreur est allé dans la boulangerie pour livrer le pan, la petite fille a vole une baguette de son camion et est sortie le lieu du crime. (S417)

 

On pourrait donc formuler l’hypothèse que les marqueurs morphologiques les mieux maîtrisés sont surgénéralisés pour exprimer de nouvelles fonctions avant que les formes natives ne soient employées.[12]

 

2.3.  EMPLOI EXCLUSIF DE L’IMP AVEC ÊTRE ET AVOIR

 

On relève dans notre corpus une forte proportion d’auxiliaires à l’IMP: de la moitié aux trois quarts de toutes les occurrences d’IMP à l’écrit ; plus des trois quarts à l’oral.

 

[Tableau 6: Distribution des auxiliaires dans les narrations écrites]

[Tableau 7: Distribution des auxiliaires dans les narrations orales]

 

Nous avons choisi de distinguer les formules impersonnelles c’était[13] et il y avait pour évaluer le rôle de telles expressions formulaires dans l’IL des apprenants. On remarquera la proéminence de il y avait chez les apprenants à l’oral où le recours aux formules figées contribue à donner une impression de fluidité.

 

Si nos sujets ne réservent pas l’emploi de l’IMP aux auxiliaires, ce tiroir n’en marque pas moins un éventail limité de verbes. On constatera que les apprenants possèdent un lexique verbal nettement moins étendu que celui des Francophones, comme le montrent les taux de changement ci-dessous. La différence se marque beaucoup plus nettement pour l’IMP que pour le PC, ce qui indique probablement une intégration moindre de l’IMP dans l’IL des apprenants.

 

[Tableau 8: Répartition des types de verbes dans les deux marqueurs morphologiques passés]

 

2.4. SOUS-EMPLOI DE L’IMP AVEC LES VERBES DYNAMIQUES

 

Parallèlement au suremploi en combinaison avec les auxiliaires, les études précédentes ont relevé un sous-emploi de l’IMP pour les verbes dynamiques. Le tableau ci-dessous donne les proportions de la combinaison de l’IMP avec les verbes dynamiques dans nos données :

 

[Tableau 9: Proportion de verbes dynamiques à l’IMP]

 

Dans nos corpus, l’hypothèse du sous-emploi ne semble se vérifier que pour les narrations orales de deuxième et quatrième années. Pour les narrations écrites à ces deux niveaux, on obtient des pourcentages comparables à l’usage natif. Contrairement aux études précédentes, on obtient un suremploi manifeste de l’IMP en combinaison avec les verbes dynamiques au niveau 1, particulièrement à l’écrit. Ce trait pourrait provenir de l’avancement de nos sujets. En effet, Salaberry (2000 : pp.170ss) relève dans ces données sur l’acquisition de l’espagnol un schéma de développement aspectuo-temporel en trois phases : (1) sous-application, (2) surgénéralisation et (3) régression des combinaisons typiques. Si on étend cette progression aux combinaisons non typiques, il se pourrait donc que, dans leur acquisition de l’IMP nos sujets de première année en soient à la phase de surgénéralisation alors que les niveaux supérieurs en seraient à la régression. Celle-ci est excessive dans les données orales tandis que les proportions sont quasi-natives à l’écrit. On a évoqué ailleurs (Labeau, 2004) la possibilité que le processus d’acquisition suive un profil pendulaire (avec surgénéralisations et régressions successives) qui se stabilise progressivement autour de l’usage natif plutôt qu’un axe linéaire comme dans l’AH.

 

3. CARACTÉRISTIQUES ORIGINALES DU CORPUS

 

En plus des caractéristiques aspectuo-temporelles de l’apprenant avancé relevées chez Bartning (1997), notre étude a relevé deux traits dignes d’intérêt : le sous-emploi du PC au passif et l’émergence du PS.

 

3.1. SOUS-EMPLOI DU PC AU PASSIF

Le tableau ci-dessous révèle le sous-emploi des PC passifs dans la production des apprenants :

 

[Tableau 10: Proportion de PC passifs dans les narrations]

 

Si le PC semble bien intégré dans la production interlangagière à tous les niveaux, le passif demeure problématique. Lorsqu’un PC passif est utilisé, il tend à l’être dans le cadre des règles de l’anglais. Cela signifie que les verbes ne sont pas nécessairement transitifs directs comme dans les exemples suivants :

 

(9)          Euh le premier *extract que j’ai été racontE c’était au sujet d’une: cambriolage d’une boulangerie. (S405)

(10)        Charlie Chaplin a été demandé à travailler dans le magasin. (S413)

 

Morphologiquement, ces exemples sont corrects, mais ils ne témoignent pas d’une maîtrise sémantique. Aux niveaux les moins élevés, on préfère l’évitement. Une première stratégie consiste à recourir à la voix active (parfois avec une structure de phrase passive comme en (12) et (13)) comme dans les exemples suivants.

 

(11)        Et: le matin prochain+ euh l’homme était / décou… # une femme a découvert le homme # l’homme. (S103)

(12)        Après ça euh la femme s’est levE et quand # les – les — les policiers ont arrivé et Charlie Chaplin a euh dans le matin et Char-lie Chaplin a arresté par les policiers. (S211)

(13)        Et puis euh il est euh — il est # il a interpellé euh par la police (S407)

 

Plus fréquemment, l’IMP passif semble jouer le rôle de forme de base pour le PC passif. En effet, la proportion d’IMP passifs est plus élevée dans les groupes d’apprenants. La morphologie pourrait expliquer la substitution : être à l’IMP est une forme familière alors qu’au PC, ce n’est pas une association typique. De plus, le PC passif est composé de trois parties, ce qui est susceptible de dépasser les capacités de production des apprenants.

 

[Tableau 11: Proportion d’IMP passifs dans les narrations]

 

Par ailleurs, des occurrences de verbes pronominaux non natifs au PRES remplissent le rôle de PC passifs :

 

(14)        L'homme de securité *s'est capturé— et était impossible d'échapper. (S102)

(15)        Chaplin *s'est arrêté la gendarmerie et a pris la responsabilité pour le délit. (S109)

(16)        La fille *s’est arrêtée au lieu de l’homme. (S410)

(17)        Quand le magasin *s’est fermé, Chaplin et une amie ont oublié qu’ils avaient du travail à faire. (S422)

(18)        L’homme euh a essayé de se faire arrêter euh aussi pour: rencontrer la femme encore une fois. Les deux *se sont arrêtés. (S410)

(19)        Et puis après il *s’est trouvé par le policier et il est mis+ dans le camion # il s’est mis+ dans le camion des policiers pour aller / je suppose/ euh vers la gendarmerie euh dans ce camion. (S419)

 

 

3.2. ÉMERGENCE DU PASSÉ SIMPLE EN CONTEXTES FORMELS

     Notre étude se distingue des précédentes en ce qu’on y trouve des occurrences de PS. Cette forme s’avérait émergente dans la production écrite au niveau 4, particulièrement dans la production de S415, un étudiant bilingue.

 

[Tableau 12: Proportion de PS dans les narrations]

 

Elle se manifestait cependant surtout dans les tests de closure où l’accent sur la forme était le plus manifeste : 4.9 % des formes étaient des PS au niveau 4 (alors que la proportion n’était que de 0.08% au niveau 1 et de 0.1% au niveau 2).

     La présence de PS dans notre corpus ne peut s’expliquer par l’AH puisque cette hypothèse n’envisage pas la possibilité de variations stylistiques et ne prend pas en compte les éléments cotextuels et contextuels susceptibles de provoquer celles-ci.[14]

 

4. CONCLUSION

 

Notre étude a montré l’incapacité de l’AH à rendre compte du développement aspectuo-temporel d’apprenants anglophones avancés du français. L’approche strictement morphologique de l’hypothèse originale échoue à rendre compte du phénomène d’acquisition : l’émergence d’une forme ne traduit pas nécessairement la maîtrise des fonctions qu’elle recouvre chez les natifs. Il est donc indispensable d’ajouter une dimension sémantique au modèle, qui étudierait l’évolution non seulement des formes mais aussi de leur(s) fonction(s). De plus, l’approche de l’AH est locale : elle ne prend pas en compte les éléments cotextuels susceptibles d’influer sur l’acceptabilité des formes, tels que l’adjonction d’un complément d’objet ou la négation.

(20) Il y a eu un accident entre deux véhicules et l’homme et la femme échappaient. (S105)

 

Dans l’exemple ci-dessus, la présence de l’objet direct un accident contre la combinaison prototypique de y avoir avec l’IMP. Pareillement, les éléments pragmatiques du contexte peuvent contredire un énoncé linguistiquement interprétable :

(21)   La fille courrait dans le rue mais elle tombait avec un homme. (S214)

Dans l’exemple (22), la fille courait dans la rue pourrait s’interpréter comme elle faisait son jogging. La connaissance du script nous révèle l’inadéquation de la forme verbale, la fille s’est en fait enfuie en courant…

Finalement, l’AH ne rend pas compte de variantes discursives, une forme pouvant apparaître plus précocement dans un type de discours que dans d’autres.

     Il faudra donc aller au-delà de l’hypothèse de l’aspect pour rendre compte de façon satisfaisante du phénomène de l’acquisition aspectuo-temporelle. Un modèle pertinent se devra de comporter des dimensions sémantiques, pragmatiques et discursives. Andersen (2002) lui-même l’a compris puisqu’il propose une « expanded version » de l’AH. En plus de l’aspect lexical, il suggère d’y intégrer le type d’événement (les marqueurs du passé porteront d’abord sur des événements uniques, puis sur les événements habituels et répétitifs), la distinction entre réel et irréel (les emplois à valeurs d’irréel apparaîtront tardivement), la pragmatique (par ex. l’IMP de politesse sera tardivement acquis), l’ancrage dans le premier plan ou l’arrière-plan (les marqueurs du passé porteront d’abord sur les verbes du premier plan) et la structure du discours (le passé est marqué plus tardivement dans les subordonnées).

La question de l’acquisition des temps du passé a donc encore bien des aspects à dévoiler !

 

 

RÉFÉRENCES

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BARZEGUI, N, CONNORS, K., LENOBLE, M. & MAJKRAK, B. (1990) Acquisition du français chez des adultes à Montréal. Etudes morphosyntaxiques et discursives. Vol.1, 2. Québec, Office de la langue française.

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WEIST, R.M., WYSOCKA, H, WITKOWSKA-STADNIK, K., BUCZOWSKA, W. & KONOECZNA, E. (1984) ‘The Defective Tense Hypothesis : On the Emergence of Tense and Aspect in Child Polish’, Journal of Child Language 11, pp.347374.


 

 

États

‘avoir’

Activités

‘jouer’

Événements téliques

‘enseigner’

Événements ponctuels[15]

‘se briser’

1

tiene

juega

enseña

se parte

2

tiene

juega

enseña

se partió

3

tenía

juega

enseña

se partió

4

tenía

jugaba

enseño

se partió

5

tenía

jugaba

enseño

enseñeba

se partió

6

tenía

jugaba

jugó

enseño

enseñeba

se partió

7

tenía

jugaba

jugó

enseño

enseñeba

se partió

se partia

8

tenía

tuvo

jugaba

jugó

enseño

enseñeba

se partió

se partia

Tableau 1: Séquence de développement des marqueurs de morphologie verbale

(adaptation d’Andersen 1991: 314)

 

Traits distinctifs

Attestations

(1) Emploi du PRES comme forme non marquée pour référer au passé

Towell (1987), Kihlstedt (1998), Harley (1984, 1992), Barzegui et al. (1990)

(2) Suremploi du PC avec des verbes d’action dans les contextes où l’on emploie normalement l’IMP

Harley (1992), Kihlstedt (1998), Bergström (1995)

(3) Emploi exclusif de l’IMP avec avoir, être

Bardovi-Harlig & Bergström (1996)

(4) Sous-emploi de l’IMP avec les verbes dynamiques

Harley (1992), Bergström (1995), Kihlstedt (1998)

Tableau 2 : Caractéristiques aspectuo-temporelles de l’IL d’apprenants avancés

 

 

 

Nb de PRES utilisés comme passés perfectifs

Nb total de PRES

%

Nb de PRES utilisés comme passés imperfectifs

Nb total de PRES

%

Écrit

Niv.1

11

34

32.35

9

34

26.47

 

Niv.2

7

23

30.43

7

23

30.43

 

Niv.4

9

25

36

5

25

20

Oral

Niv.1

51

225

22.67

92

225

40.89

 

Niv.2

33

64

51.56

20

64

31.25

 

Niv.4

27

295

9.15

31

295

10.51

Tableau 3: Emplois non natifs du PRES pour référer au passé

 

 

 

Nb de PC utilisés comme passé imperfectif

Nb de PC

%

Écrit

Niv.1

6

372

1.61

 

Niv.2

8

242

3.31

 

Niv.4

6

484

1.24

Oral

Niv.1

22

484

4.55

 

Niv.2

14

436

3.21

 

Niv.4

22

675

3.26

Test de closure[16]

Niv.1

71

579

12.26

 

Niv.2

56

409

13.69

 

Niv.4

60

630

9.52

Tableau 4: PC remplaçant des passés imperfectifs

 

Écrit

Niv.1

Apporter, connaître, dormir, porter, regarder, savoir

 

Niv.2

Avoir, connaître (2), devoir, être, porter, ressembler, vouloir

 

Niv.4

Aller, chercher, être en train de, se passer, travailler, venir de

Oral

Niv.1

Aimer, avoir, y avoir (3), courir (2), échapper, être (2), être en train de, ouvrir, penser (3), porter (2), pouvoir, regarder, travailler, *tendrer[17], *voloir

 

Niv.2

Acheter, avoir (2), connaître, être, faire, garder, pouvoir, regarder (2), *rassembler, travailler, vouloir (2)

 

Niv.4

Attendre, avoir (3), y avoir, connaître, *détenir, être (2), faire (3), marcher, porter (2), prendre, regarder, *retenir, savoir (2), venir de, vouloir

Tableau 5: Liste des verbes utilisés au PC en lieu et place d’un passé imperfectif

 

IMP

Être

Avoir

C’était

Y avoir

Total of 4

 

n

%

n

%

n

%

n

%

n

%

Niv.1

57

28.08

16

7.88

18

8.87

19

9.36

110

54.19

Niv.2

25

34.72

3

4.17

9

12.5

15

20.83

52

72.22

Niv.4

53

28.19

19

10.11

18

9.57

17

9.04

107

56.91

Groupe de contrôle

5

17.86

1

3.57

4

14.29

1

3.57

11

39.29

Tableau 6: Distribution des auxiliaires dans les narrations écrites

 

IMP

Être

Avoir

C’était

Y avoir

Total of 4

 

n

%

n

%

n

%

n

%

n

%

Niv.1

45

34.26

8

6.22

22

16.79

22

16.79

107

74.06

Niv.2

43

31.44

8

5.03

35

22.01

39

24.53

125

83.01

Niv.4

57

31.11

24

9.45

67

26.38

53

20.87

201

87.81

Groupe de contrôle

25

38.47

4

6.15

13

21.54

1

1.54

43

67.7

Tableau 7: Distribution des auxiliaires dans les narrations orales

 

 

IMP

PC

 

Niv.1

Niv.2

Niv.4

Groupe de contrôle

Niv.1

Niv.2

Niv.4

Groupe de contrôle

Verbes différents (écrit)

55

21

50

18

126

112

162

67

Taux de changement

3.69

3.43

3.76

1.56

2.95

2.16

2.99

1.78

Verbes différents (oral)

27

25

22

20

99

101

145

100

Taux de changement

4.85

6.36

11.59

3.25

4.89

4.32

4.66

2.6

Tableau 8: Répartition des types de verbes

pour les deux marqueurs morphologiques passés

 

 

Narrations écrites

Narrations orales

Niv.1

54.68

41.19

Niv.2

34.72

20.75

Niv.4

37.23

19.69

Groupe de contrôle

35.71

36.92

Tableau 9: Proportion de verbes dynamiques à l’IMP

 

PC – écrits

Résultats bruts

Pourcentages

PC – oral

Résultats bruts

Pourcentages

Niv.1

6

1.61

Niv.1

15

3.1

Niv.2

4

1.65

Niv.2

13

2.98

Niv.4

15

3.1

Niv.4

12

1.78

Groupe de contrôle

9

7.56

Groupe de contrôle

13

5

Tableau 10: Proportion de PC passifs dans les narrations

 

IMP – écrit

 

 

IMP – oral

 

 

Niv.1

16

7.88

Niv.1

15

11.45[18]

Niv.2

6

8.33

Niv.2

7

4.4

Niv.4

11

12.5

Niv.4

10

3.92

Groupe de contrôle

1

5.56

Groupe de contrôle

2

3.08

Tableau 11: Proportion d’IMP passifs dans les narrations

 

 

Niv.1

Niv. 2

Niv. 4

Groupe de contrôle

Écrit

1

0.16

0

11

1.5

21

10.5

Oral

5

0.58

0

0

0

Tableau 12: Proportion de PS dans les narrations

 



[1] Ces deux langues possèdent en effet une forme constituée de l’auxiliaire être et de l’adjectif verbal pour exprimer la continuité.

[2] À savoir les première, deuxième et quatrième années, la troisième année étant passée à l’étranger.

[3] Nous avons adopté les mêmes épisodes que Salaberry (2000) : Alone and hungry et An accident occurs at the store.

[4] Ces deux extraits ont été choisis parce qu’ils étaient exemplatifs de l’emploi des temps passés et avaient été utilisés pour illustrer des discussions théoriques antérieures. Le premier texte, extrait de La Condition humaine de Malraux, a d’abord été utilisé chez Saettele, H. (1971) Das Französische Passé Composé. Funktionsveränderung eines Tempus. Zürich, Juris Druck., et repris par Wilmet (1998 : p. 370); le second texte reprend la version Imparfait des Exercices de style de Raymond Queneau.

[5] L’étude-pilote était basée sur des dissertations écrites en conditions d’examen par un groupe d’étudiants à la fin de leurs première (juin 1997) et deuxième (juin 1998) années de licence. Le nombre de textes variait légèrement : 131 en première année et 128 en deuxième. L’examen de première année consistait en une dissertation de 500 mots sur le thème : Le système éducatif français se veut méritocratique: réussit-il ? L’examen de deuxième année offrait un choix : une analyse de sondage sur la consommation de viande en France, un rapport sur l’introduction d’une eau minérale britannique en France et une analyse de publicité. Ces corpus ont été abandonnés pour plusieurs raisons. D’abord, ces exercices n’encourageaient pas le recours au passé. Ensuite, les données produites à chaque niveau n’étaient pas directement comparables. Finalement, on disposait seulement de données écrites.

[6] Celle-ci présentait l’avantage d’alterner des séquences de premier plan et d’arrière-plan.

[7] Pour la discussion du rôle des marqueurs non verbaux et d’autres tiroirs comme le PQP, je renvoie à ma thèse (Labeau, 2002) et à mon livre (Labeau, à paraître). Pour le PS, je renvoie à Labeau (en préparation).

[8] Les apprenants sont identifiés par un S (student), un premier numéro indiquant leur niveau (1, 2 ou 4) et deux numéros personnels ; le groupe de contrôle est désigné par le F de francophone suivi d’un numéro identificateur.

[9] Le passé simple peut aussi remplir ce rôle, mais nous ne nous y arrêterons pas pour l’instant. Pour une discussion des points communs et des différences du PC et du PS, je renvoie à Labeau (2002, à paraître) et surtout à Labeau (en préparation).

[10] Nous avons justifié ailleurs (Labeau, 2002 et à paraître) notre classification ses syntagmes verbaux en statifs et dynamiques, ces derniers étant séparés en atéliques et téliques.

[11] Pour la retranscription des narrations orales, nous adoptons les conventions de Kihlstedt (1998).

[12] Cette tendance semble confirmée dans nos données par l’utilisation courante du PC pour marquer le plus-que-parfait, suivie de l’emploi en variation libre des deux morphèmes.

[13] Le nombre relativement élevé d’occurrences de c’était dans les productions des Francophones s’explique par l’abondance du gallicisme c’est… que en discours rapporté: Mais euh une fois Charlot arrêté la première dame qui avait donc été témoin du vol euh est revenue voir le : patron de la boulangerie elle a bien précisé que ce n’était pas Charlot mais que c’était bien la femme qui avait- avait volé le pain. / (F6)

[14] Nous examinons le PS plus en détails dans un corpus de narrations écrites et orales du conte de fees Cendrillon (Labeau, en preparation).

[15] La classification des syntagmes verbaux s’inspire des quatre catégories de Vendler (1967): states, activities, accomplishments et achievements.

[16] Nous ne prenons ici en compte que les items pour lesquels un passé imperfectif a été choisi à l’unanimité par le groupe de contrôle, à savoir [8], [9], [19], [36], [37], [41], [42], [43], [44], [47], [59] et [60].

[17] L’astérisque indique soit un néologisme soit un emploi non natif d’un verbe existant.

[18] La proportion d’IMP passifs au premier niveau est largement supérieure à celles des niveaux 2 et 4. On pourrait attribuer cette différence marquée à la difficulté de distinguer phonétiquement entre [aete] et [ete] (d’ailleurs souvent réalisé [ete] en français standard) aux niveaux les moins avancés.